Une cordée pour l'emploi des cadres
AVARANEWS N° 57 - JANVIER 2023
Pourquoi a-t-on besoin de « Lehmann Sisters » :
plus de femmes aux postes décisionnels
L’égalité des sexes a été posée comme l’une des valeurs fondatrices de l’Union européenne. Et pourtant, en 2022, les femmes restent sous-représentées aux postes de décision en Europe. Selon l’Institut européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes (EIGE), elles ne représentent que 32,3 % des présidents, membres des conseils d’administration et représentants des salariés, et 21,5 % des PDG, cadres et non cadres des plus grandes entreprises cotées en Europe. La situation paraît sensiblement la même en ce qui concerne les gouvernements, les institutions financières et les académies nationales des sciences.
Au-delà de l’importance d’une représentation égale, nos recherches au sein de l’AXA Lab on Gender Equality montrent qu’un leadership équilibré entre les sexes présente de nombreux avantages. Veiller à ce que les femmes soient représentées de manière égale parmi les candidats potentiels à un poste de direction, c’est s’assurer de disposer d’un plus grand nombre de candidats, et accroître ses chances de sélectionner la bonne personne.
Cela a été prouvé empiriquement par la recherche. L’introduction de quotas de genre dans les conseils d’administration en Italie a, par exemple, non seulement augmenté la proportion de femmes dans les conseils d’administration, mais a également amélioré les qualifications de tous les membres du conseil, hommes et femmes. Les hommes moins qualifiés qui siégeaient auparavant au conseil d’administration n’ont, de fait, pas été reconduits dans leurs fonctions. Ce résultat devient possible lorsque des femmes qualifiées et compétentes, prêtes à devenir des leaders, se trouvent en nombre abondant, comme c’est le cas aujourd’hui dans de nombreux pays européens.
Imaginer les sœurs Lehman
Un deuxième argument concerne l’agenda des institutions et organisations. Les ordres du jour des directions où les sexes sont équitablement représentés incluent généralement des points négligés là où les hommes se trouvent excessivement majoritaires. Des points qui peuvent pourtant s’avérer importants pour leurs organisations, par exemple, les objectifs de durabilité.
Il a été démontré que la présence de femmes aux postes de décisions politiques est associée à davantage de financements en direction des services de garde d’enfants, eux-mêmes favorisant l’emploi des mères de famille. Les services de garde d’enfants, constituent d’ailleurs une politique clairement efficace en la matière. Importants pour le développement des enfants, ils aident en particulier les femmes à concilier vie professionnelle et vie familiale. Il y a là un cercle vertueux, cela engendrant un renforcement de la place des femmes à la tête des organisations, menant des politiques positives sur le marché du travail.
Le style de leadership n’est pas non plus sans importance. La recherche a établi que, par rapport aux hommes, les femmes dirigeantes ont tendance à être plus réticentes au risque et moins animées d’un esprit de compétition, plus démocratiques et innovantes, et qu’elles se projettent à plus long terme.
Ces éléments ne sont pas des détails : Christine Lagarde, ancienne directrice du Fonds monétaire international et actuelle présidente de la Banque centrale européenne, a souvent fait remarquer que si Lehman Brothers avait été « Lehman Sisters », la crise financière de 2007-2008 n’aurait peut-être jamais eu lieu. Une surreprésentation des hommes dans les organes de décision peut entraîner un comportement agressif et surcompétitif. Et compte tenu des dégâts mondiaux laissés par la crise financière, un leadership de « frères et sœurs » est devenu une référence pour les organisations.
Un exemple plus récent est la pandémie de Covid-19. Une étude réalisée en 2021 sur 194 pays a révélé qu’au cours du premier trimestre de la crise, les pays dirigés par des femmes ont connu de meilleurs résultats. Elles ont eu tendance à imposer des mesures de blocage beaucoup plus tôt que leurs homologues masculins. Pareille observation rejoint le fait que les femmes sont plus réticentes au risque que les hommes, même lorsqu’elles se trouvent au pouvoir. Les données suggèrent également que les citoyennes étaient plus susceptibles de percevoir le Covid-19 comme un problème de santé grave, d’approuver les mesures de restriction des politiques publiques et de s’y conformer.
Faire évoluer les stéréotypes culturels
Les stéréotypes enracinés dans les mentalités constituent un obstacle majeur à l’équilibre entre les sexes aux postes de direction. Il est généralement admis que cela est une question de culture, et la culture évolue lentement. Les politiques et les mesures peuvent donc accélérer la réduction des inégalités, mais il faudra du temps pour constater de réels changements.
Il est difficile de mesurer les phénomènes culturels touchant au genre et d’évaluer les progrès réalisés. Les chercheurs utilisent pour cela les données de l’Enquête mondiale sur les valeurs. Elles montrent que les stéréotypes explicites ont diminué au fil du temps, même si les différences d’un pays européen à l’autre restent importantes. L’affirmation « Les hommes sont de meilleurs chefs d’entreprise que les femmes » est, par exemple, approuvée par 15,8 % des citoyens italiens, mais seulement par 4,6 % des Suédois.
Partout, les stéréotypes implicites sont plus forts que les stéréotypes explicites. Des travaux récents montrent qu’ils sont bien établis sur le lieu de travail. Les répondants au test d’association implicite sur le sexe et la carrière ont tendance, par exemple, à associer les femmes avec la famille et les hommes avec la carrière. Les managers qui prennent des décisions en matière d’embauche et de promotion partagent ces stéréotypes. La manière de les contrer et de les atténuer s’avère une tâche plus compliquée, mais pourtant importante pour réduire les écarts entre les sexes sur le lieu de travail.
Source : The Conversation
Publié le 5 janvier 2023
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